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Matoub Lounès, trois morts et une vie éternelle
MATOUB LOUNÈS : TROIS MORTS ET UNE VIE ÉTERNELLE
 
 
L'universalité du poète, la rébellion par le verbe et par l'acte, la marche du MCB le 25 janvier 1990 à Alger.
Des plus belles choses que l' université de Constantine m'a appris, c'est d'abord mon pays. J'ai rencontré des femmes et des hommes venus de Bejaïa, Annaba, Ourgla, M'sila, Sétif, Sidi Bel Abbès et presque tout le territoire national. Tout ce que nous a caché le pouvoir des médiocres , nous le mettons sous la lumière du jour, tous unis, dans la fraternité et la force de la science et tha mousni (El maârifa).
À l'université, nous n'appartenions pas à une région ou à un patelin. Nous appartenions à des livres, à la science et à un idéal.
Les conditions de l'époque ont fait que je rencontre beaucoup de femmes et d'hommes qui cachions de naïfs enfants qui adoraient leur terre. Parmi ceux qui me ressemblaient le plus, sont les descendants de paysans Kabyles du nord sétifien. Je nomme Moumen Mohand Arezki. Nos accointances étaient politiques : nous étions de gauche. Elles étaient aussi sociales : on venait d'un milieu où la galette était un luxe.
Constantine était notre ville, elle était belle et on s'y plaisait. Nous ne nourricions aucun complexe ni animosité envers l'autre. L'antique Cirta était assez forte pour taire les prétentions maladives et les ego !
Au Resto central, on écoutait, assez souvent Idir, Djamel Allam et Chenoud. Aït Menguellet de l' époque était en quelque sorte un Farid El Atrache des Kabyles (je vais subir les affres des fachos incultes). Survint sur la scène musicale un nom nouveau : Matoub Lounès. Sa musique ne m'attirait pas beaucoup. Pour le genre Chaâbi, nous avions déjà le Cardinal El Anka. Mon amitié trop serrée avec Mohand Arezki se transforma en confiance absolue : un amour humain sans failles. Nous nous acceptions. Cet ami, avec qui je partagé la vision philosophique du monde, avait de sérieux penchant vers Lounès Matoub. Il l'acceptait et... l'aimait. Je ne comprenait pas qu'un étudiant engagé aima un chanteur qui n'était pas de notre bord. Je ne connaissais pas encore la force de la poésie et que celle-ci ne pouvait souscrire dans une idéologie ou une secte. Ainsi va la vie d'un non initié ou plutôt quelqu'un pas assez cultivé !
Matoub était une intrusion. Il a bouleversé tout le microcosme estudiantin kabyle dans la ville de Massinissa. Quelqu'un qui ne chantait pas le socialisme mais qui était écouté par tous les locuteurs amazigh toutes tendances politiques confondues : ça ne pouvait être qu'un poète ! et pas n'importe lequel !!
Je ne l'aimais pas. Sur ses cassettes, il avait un regard méchant. On ne pouvait pas résister à son expression facile. C'est longtemps après que j'ai compris que cette façon dure de se présenter est une manière de se protéger d'une vie qui n'a pas été douce et clémente avec l'enfant qu'il n'a jamais cessé d'être.
Bloque sur mon incompréhension sur le nouveau venu sur la scène, personne ne pouvait me convaincre que sans la langue maternelle, la poésie émotionnelle restait impénétrable. Lounès ne maîtrisait pas encore les classiques des lumières : le rationnel. Il était dans le sentiment. Il avait raison. La Hogra n'est pas rationnelle, on ne pouvait pas l'expliquer par le rationnel !
L'homme, le musicien et le poète que j'ignorais avançait à une vitesse inimaginable. Il était si prolifique que ses productions se bousculaient. Il devient gênant. Le pouvoir était dans les solutions Khider, Krim (crime), faire taire par les balles, les cravates et autres méthodes qui conduisent au cimetière.
Et ce matin arriva !
Oh mon dieu !
Le meilleur de mes amis, ce Moumen, tout troublé, le visage défait, ne tenant pas en place, agité comme une carpe coincée me lâcha en pleine gueule ce que personne ne veut entendre : Le Chanteur Matoub a été assassiné. À l'époque Le poète avait juste 24 ans. Il fallait confirmer l'information. À la vitesse terrible de notre jeunesse, nous avions rejoint le centre ville de Constantine en un temps record. Nous nous dirigeâmes vers un disquaire libraire kabyle pas très loin du fameux Café Riche. Lui, avait les informations précises. D'ailleurs, dans sa vitrine, il y avait les 5 ou 6 premières cassettes de Matoub. Il nous rassura que Lounès était vivant et que les nouvelles de sa mort n'étaient que de l'inox. Un souhait du pouvoir en tout cas. C'était la première mort de Lounès et c'est comme cela que je l'ai vécu moi l'Auressien.
Survint le printemps berbère qui changea le cheminement politique de l'Algérie : le face à face public avec le pouvoir militaire, la création de la ligue des droits de l'homme, la contestation sociale au niveau national (soulèvements de 1986 à Oum El Bouaghi, Constantine et Sétif) et enfin le grand 5 octobre 1988.
Lounès Matoub qui n'a cessé de s'inscrire dans la ligne juste de l'histoire a reçu un demi kilo de plomb dans le corps. L'intention du pouvoir était criminelle : tuer le poète !
Les bandits signent par la violence du feu sa deuxième mort.
Il en sort vivant et plus...fort !
Est-il immortel ? quelque part oui : sa poésie qui traduit sa philosophie de la rébellion.
Désormais, le rebelle, le poète, le courageux militant, l'homme affable au grand cœur devrait s'appuyait sur deux pilier : le peuple et une... canne. Les bandits assassins lui ont pris une partie de son intégrité physique : ils l'ont handicapé !!
Et cela, je l'ai vérifié, contre mon gré, le 25 janvier 1990.
Nous étions quelques dizaines de Chaouis, entre étudiants et citoyens d'Oum El Bouaghi, de Batna et de Khenchela à répondre à l'appel national du Mouvement Culturel Berbère pour une marche à Alger afin de demander l'officialisation de l'enseignement de Tamazight à l'école. Nous partîmes, de nuit, par bus d'Oum El Bouaghi pour rejoindre Alger à 4 heures du matin. Nous avions mille tracts et deux banderoles : Tamazight à l'école et Oul Inough Yatchath Fellam (mon cœur ne bat que pour toi (comprendre :Tamazight).
C'était l'un des plus beaux jours de l'Algérie. Un masse de femmes et d'hommes inestimable arithmétiquement, une sensation de sécurité et de force inimaginables. Nous devrions remettre un rapport au premier Ministre. Mais les exigences de l'époque nous ont repoussé vers l'assemblée populaire nationale. Notre défilé a duré plusieurs heures sur le boulevard Zighoud Youcef. On avait l'impression que toute l'Algérie était présente sur le front de mer. Par haut parleur on appela les représentants des régions à se présenter afin d'aller déposer le rapport au président du parlement. Et à ce moment ont vit le Lion du Djurdjura, l'immense poète Matoub Lounès, appuyé sur ses béquilles, s'avancer à la tête d'une forte délégation de jeunes, marquant l'histoire d'une façon indélébile : c'est la première fois que le pouvoir des bandits nous reconnaît, nous autres algériens, et nous reçois sous la présidence de Matoub Lounès !
Un jalon était définitivement posé. Une ère nouvelle était ouverte. La nouvelle Algérie est en construction. Les bandits reculent, la vérité et la révolution avancent. Les ennemis du peuple et de Lounès allèrent trop loin. Intégristes et pouvoir mirent le pays à feu et à son. Les heures de l'immense et courageux chanteur étaient comptés. Après un kidnapping bizarre vinrent les centaines de balles qui se logèrent dans le corps de celui qui changera à jamais la configuration de l'Afrique du Nord et de son histoire : Matoub est assassiné !
Sa troisième mort est actée.
Mais que faire avec sa poésie, ses chansons et son héritage !? à vous ses assassins, je vous dis : il vous a eu !!
Longtemps après j'ai compris que Lounès se battait pour tous les opprimés d'Algérie et de la terre. Il le faisait par tamazight, sa langue de tous les jours, de ses rêves et de sa poésie. Il se battait même pour les pauvres manipulés par les idéologies mortifères. Matoub est une nature très douce et très émotionnelle. Il n'appartient à aucune secte. Il est dans l'olympe de l'universel. Matoub, ce pauvre, cet enfant éternel.
 
Kados Sabri, Homme libre du pays chaoui
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