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Quand Ahcene Belarbi parle de la Vie est un grand mensonge...

La vie est un grand mensonge, de Youcef Zirem


Il y a d’abord l’économie du texte. Composition
singulière, elle tranche avec l’écriture linéaire
ordinairement usité. Divisé en trois parties,
intitulées : haltes, La vie est un grand mensonge
n’est pas le fruit d’une inspiration étalée en un seul
jet. A chacun des trois paliers, la plume de Zirem
semble observer une longue pose, le temps de
s’imprégner de la nouvelle vision de l’écrivain, avant
de courir sur la feuille blanche.
Gorgés de réalisme royal, les mots s’étalent nus, sans
fausse pudeur, habillés cependant de la poésie. Cette
poésie innée, immanente à certaines plumes
(privilégiées ?) qui signent naturellement
l’originalité de tel ou tel auteur.
Les tournures, ici, s’imposent en souffle créateur.
Tonifiant. En ce sens, l’écriture de Youcef est une
écriture vivante : les mots parlent, c’est-à-dire,
racontent, dénoncent, suggèrent, interpellent… La
complexité humaine, les aléas de la vie dans tout ce
qu’elle a de cruel et de beau, sont rendus dans un
style rebelle, réfractaire à tout académisme
asservissant. La vie est un grand mensonge est le
roman de l’Algérie qui peine à se construire. Plus de
40 ans de bricolage économique, de désastre
sociopolitique, ont fait tourner en rond – et
continuent de le faire - l’espoir d’édification
nationale, auguré en 62. L’indépendance est
confisquée, le pays aussi : « J’ai la nette impression
que ce pays appartient à quelques centaines de
personnes. Le reste de la population fait de la
figuration », assène, à juste titre, Jeff, l’un des
personnages principaux du livre.
Tout au long du texte, le regard que porte subtilement
Youcef sur cette période est lourd de sens. Si, à
première vue, le lecteur a l’impression d’y lire une
banale évidence, le constat qui s’y réfère n’a rien de
banal : la lucidité de l’auteur participe de sa
douleur et de son courage à subir et à lutter contre
un fatalisme national, érigé, par des populations
entières, en normalité quotidienne.
L’écrivain est hors de la majorité soumise. Il est
seul, mais debout. Courber l’échine c’est accepter la
mort du pays.
La révolte est au cœur du poète. Le verbe gronde. Il y
a du Mimouni dans Zirem. Et cela au sens le plus
noble. Au-delà du style personnel, un élan et un genre
communs les caractérisent : l’élan de la vérité, sous
tendu par la littérature de combat. La vie est un
grand mensonge est le miroir d’une Algérie belle et
pourrie, et dont les artisans de sa déchéance
s’acharnent à exciter l’orgueil suicidaire des
populations, pour que l’Algérien ne loue que la beauté
et occulte la déchéance. Youcef dévoile et la beauté
et la déchéance. La dictature est mise à nue,
l’hypocrisie sociale aussi.
Entre l’intégrisme sanguinaire et le terrorisme sans
visage, le pays perd ses enfants, son histoire, ses
valeurs. Alger la blanche s’abîme dans un présent
obscur, générateur de désarroi, de malvie. Une
jeunesse en quête de son âge, de ses plaisirs rejoint
les générations sacrifiées avant elle. Le bout du
tunnel ? Il est encore loin. Car dans cette Algérie où
hier n’existe pas, et où demain a un goût de prison,
la vie relève d’un camp de concentration. Comment
franchir l’horizon d’un monde… sans horizon ? Comment
aimer dans un monde où ce sentiment devient synonyme
de honte, de pécher ?
« La mer apprivoise mes songes. Mes surprises figées
se font rares. Je vais essayer de me suicider, peut
être que cette troisième fois sera la meilleure. Je me
cherche dans un hier balafré et les représailles
salvatrices sont encore à inventer… »

Décidément, la vie ne sera qu’un grand mensonge.

Ahcène Belarbi
Le mardi 14 mars 2006

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