Serein ? Chez le poète, le calme n’est que d’apparence, le tumulte est dans l’âme.
Ainsi, entre les cimes de Tamgout, en Kabylie, et le sommet de la butte Montmartre, à Paris, Youcef Zirem – car c’est de lui qu’il s’agit, ici – enfourche la fougue de sa muse, apprivoise le Verbe voyageur. Son Verbe. Pour dire quoi ? Pour dire la vie, le monde, dans tout ce qu’ils ont d’horreur et d’éblouissant. Mais dire d’abord, la liberté d’être soi-même, car être soi-même c’est accepter l’altérité.
Tolérance. Authenticité. Générosité. Trois aspects de la grandeur d’âme, intrinsèques à la personnalité d’un poète, que, d’aucuns, gens sans consistance humaine, verraient, à tord, évidemment, comme des valeurs « vieux jeu ». Youcef en est pétri, avec, en plus, cette révolte innée, canalisée par une culture abyssale à la mesure de la rigueur intellectuelle du poète.
Célèbre, en tant que journaliste, par ses interventions percutantes, sur les plateaux des TV ou des radios, son génie intellectuel et d’homme de culture, brille aussi par son talent de nouvelliste, romancier, essayiste… et poète. Certaines de ses œuvres, tel l’essai intitulé : Algérie, la guerre des ombres est étudié jusque dans des universités américaines.
Dans cet écrit nous essayerons modestement d’ouvrir une page sur son côté poète, qui, peut-être, est le moins connu du public eu égard à l’indisponibilité (publications épuisées) de ses oeuvres dans ce domaine.
Nous laisserons notre poète continuer tranquillement sa promenade parisienne, mais sans pour autant le lâcher d’une… syllabe. Il faut savoir que, à chacune de ses haltes – et Youcef en fait beaucoup, aussi bien en flânant qu’en écrivant – des paroles échappent à son silence prolifique, ou jaillissent, voix cursive, de son calepin torturé.
Expression souveraine, le Verbe se libère, soliloque, nous immerge dans l’ivresse de la passion. Inexorablement, on se pâme sous les Stigmates du guet-apens :
Spirale du rapt
Elle déferle sur ma quiétude
Sa marche impose le silence
Ses rondeurs me triturent les méninges
Notre patience commune se mêle au vent
En un fugitif clin d’œil
Elle me dit sa passion
Une étoile voit le jour
L’obscurité se dissout
La bruine printanière cesse
Ses lèvres mélodiques
Emprisonnent ma volonté
Un exil prend forme
Ses yeux d’éden m’engloutissent
Ses hanches allument un feu
Nous gardons un brin de notre sourire
Et nous attendons demain
L’écriture, incisive, rendue dans un style lapidaire se passe d’effets d’ornements. Les poèmes se suivent, et ne se ressemblent pas. Assujettie à des situations diverses, la même vigueur sémantique, cependant, les animent.
Ainsi dans : Une odeur d’asperge, où renaît, frémissant de vie, un passé sublimé :
A l’ombre apaisante de l’olivier
Un rêve est éparpillé
Réinventés, les mots s’accrochent
A ses pas fossilisés…
Si, ici, la poésie de Youcef célèbre, ailleurs elle s’insurge, sans euphémisme fourvoyeur, contre les partisans d’un ordre moyenâgeux. La démocratie est illusoire. Entre un autoritarisme immuable, et un obscurantisme rampant, il reste les Espoirs craquelés :
Ils ont voulu
Revenir quinze siècles en arrière
Ils ont renouvelé la détresse et les égorgements
Ils ont permis
La généralisation de la torture…
Parfois le Verbe devient fureur : c’est la révolte qui gronde. Elle gronde contre l’angélisme mystificateur de ceux qui magnifient un présent ensanglanté ; elle gronde contre un ordre qui se joue de la détresse d’un peuple en hypothéquant son avenir… Quand le mensonge dépasse en horreur une réalité criminelle, le poète déshabille les illusions soporifiques, dévoile la vérité nue. Et l’on y voit Une plaine à reconquérir :
Un bout de nuit
Trois cents égorgés
Le terrorisme n’est que résiduel
Ont-ils honteusement affirmé
Il ne crève pas
Ceux qui sont bien protégés
Ceux qui sont intouchables
(…) Le terrorisme n’est que résiduel
Ont-ils honteusement affirmé…
On ne peut parler de tous les poèmes écrits par Youcef Zirem - l’entreprise relèverait plus d’un ouvrage en la matière que d’un simple article de presse. Ce modeste aperçu est donc juste un petit clin d’œil sur ce grand poète. La dernière halte, se fera au café « Le vieux Châtelet ».
Ahcène Bélarbi